BOIS SACRÉ, BOIS DORMANT

"Le Rêveur de la forêt", sept 19 - fév 20, musée Zadkine, Paris, photo R. Chipault

Dans l’atelier, « forêt intérieure », cocon et refuge des expressions les plus intimes, sont réunis plusieurs ensembles d’oeuvres, inspirées par l’esprit et les mystères de la forêt, support de croyances, de contes, de projections fantasmagoriques.

Se ressourçant aux mythes grecs, Zadkine sélectionne les figures héroïques d’une antiquité, intériorisée dès son enfance puis inlassablement revisitée au travers de sculptures immenses comme des statues colonnes, telle une forêt de bois et de symboles, destinée à supporter et à maintenir la séparation entre le monde supérieur des Dieux et celui des humains. Une hiérarchie et des tabous à ne pas franchir faute de ces représailles terrifiantes que rappellent les représentations des héros émancipateurs ou transgressifs : Daphné, figure inachevée et insaisissable de la métamorphose en laurier de la nymphe aimée d’Apollon, Prométhée dérobant le feu divin, Actéon d’abord transformé en cerf puis dévoré par ses chiens pour avoirsurpris dans sa nudité la déesse Diane/Artémis, vierge chasseresse. Parmi ce cortège légendaire se trouvent de multiples références au milieu sylvestre, réceptacle et âme de ces sculptures hiératiques.

Indifférenciation coupable et peur du chaos originel, la forêt de tous les dangers est celle où tout change de nature tout le temps. L’antidote à la confusion des règnes est le « bois sacré » peuplé d’un bestiaire fantasmé, source d’effroi comme d’émerveillement, du Faune de Jean Carriès, aux Salamandres de Laurie Karp.

Animaux totémiques – la Biche chez Joseph Beuys – et ancêtres protecteurs, l’homme sait depuis des temps immémoriaux honorer les esprits et s’attirer leur protection à travers des pratiques ritualisées, dirigées par des chamans, exerçant un pouvoir thérapeutique, cathartique et libérateur. Signes à déchiffrer, transes et substances psychédéliques, les forêts « pensent » en images selon l’anthropologue Eduardo Kohn, pour qui leur fonctionnement est en partie comparable à celui des mécanismes du rêve.

La forêt comme image de la psyché, révélée dans Le sommeil (Auguste Rodin) ou par la création, s’impose dès les débuts de la modernité, et lui demeure associée. Au « je est un autre » d’Arthur Rimbaud (Lettre au voyant, 1871) répond « … ce malgré moi de sauvage » de Paul Gauguin (Lettre à Charles Morice, 1903), ainsi que la parution des théories de Freud sur « l’interprétation des rêves » et « L’inquiétante étrangeté » à partir de 1900.

Tous manifestent la nécessité de fuir ou d’échapper au carcan d’une société exclusivement normée et régie par la rationalité. Prolongeant le symbolisme avec lequel il a de nombreuses affinités, et relayant l’apport de la psychanalyse dans le champ de la poésie et de l’art, le surréalisme, en quête de merveilleux, « de ce point particulier où la poésie rencontre la vie et le rêve la réalité » (André Breton), va catalyser les recherches éparses.

La dernière forêt de Max Ernst, peinture exceptionnelle, porteuse d’une vision hallucinée de la nature, en est le paradigme. On peut en retrouver l’écho dans la série Arbres du duo d’artistes Berdaguer & Péjus, lequel traduit en sculpture, par le biais d’une impression numérique en 3D, les dessins obtenus lors de tests psychologiques ayant l’arbre pour motif, effectués auprès de patients d’un hôpital psychiatrique. Quant à Eva Jospin, l’une de ces dernières sculptures, Forêt noire, reprend magistralement l’image de ce « bois dormant » aussi touffu que celui des rêves et des peurs ancestrales, une « forêt inconsciente » pour accéder à l’irrationnel, à cet autre en nous, ce sauvage que recherchent les artistes.

Pour revenir à la page de présentation cliquer ici