DÉCOUVREZ LES 14 MUSÉES DE LA VILLE DE PARIS
Menu principal
Accès rapide aux chapitres :
Valentine Henriette Prax naît en 1897 à Bône (Annaba). Son père Henri Prax, Catalan de Perpignan, est établi comme exploitant forestier dans cette ville qui est le deuxième port d’Algérie. Il exerce aussi les fonctions de vice-consul d’Espagne et du Portugal. A ses heures, cet homme taciturne écrit des poèmes dont le musée Zadkine conserve deux cahiers calligraphiés. Née Magliulo, la mère de Valentine est d’origine sicilienne avec des attaches à Marseille – une autre ville portuaire et à Constantine. Elle est quasiment aveugle.
Avare de confidences sur son Algérie natale, Valentine Prax laisse pourtant entendre que le souvenir de la mer demeure à vif. Mais rien n’aura détourné la jeune fille de Bône du rêve de partir, loin de cette« mer couleur saphir » et du « ciel lumineux » pour la terre promise – La France ! Paris ! – où l’on devient peintre ou poète. Après trois années d’étude à l'École des Beaux-Arts d'Alger, elle se décide à vendre les quelques bijoux donnés par sa grand-mère. Elle quitte sa famille, son pays.
La jeune femme débarque à Paris en 1919, tout juste majeure. Elle emménage dans la minuscule «cage de verre» de l’atelier du 35 rue Rousselet dont elle devient « l’oiseau captif pour cinquante francs par mois. » Elle ne connaît personne. Elle est timide. Elle est pauvre. Elle fait connaissance du Russe du second étage, un sculpteur «d’allure assez curieuse» : « Je m’appelle Ossip Zadkine, et vous ? ». Il la trouve provinciale, accoutrée : « si vous revenez me voir, je vous couperai les cheveux. » Elle lui soumet ses peintures, ses dessins d’après l’antique. « Je ne vois là aucun talent …Laissez dessins et peintures… vous serez poète.» Valentine ne saurait cependant se résigner à « n’être pas peintre un jour ». Zadkine l’entraîne dans le courant des avant-gardes de Montparnasse, au petit café enfumé et bondé d’artistes de la Rotonde, au Dôme.
« Je crois tout de même que tu as du talent. Ce doit être tes années aux Beaux-Arts qui t’ont gâchée. Fuis les écoles […]. Fréquente les musées ; cours les expositions, les bonnes expositions… » Zadkine se révèle un mentor averti, enthousiaste. Les cubistes, les Fauves, Picasso, Braque, Van Dongen, les toiles de Cézanne, la collection personnelle du marchand Ambroise Vollard, la lecture d’Apollinaire et de Max Jacob – autant de découvertes qui laissent Valentine « tremblante d’émotions nouvelles chaque jour ». Elle travaille volontiers sur le motif, plante son chevalet à Bièvres où Zadkine la rejoint le dimanche, « peint du paysage » à Clamart, à Montfort-l’Amaury ou Marly-le-Roi dans des harmonies de gris, vert et brun.
L’été 1920 Foujita et Fernande Barrey, sa première épouse, accueillent Valentine à Collioure. Elle reçoit un télégramme de Zadkine : « Viens. Parlerons mariage. » Elle le rejoint aussitôt à Bruniquel, cité médiévale du Quercy que Zadkine a adoptée. Ils se marient le 14 août 1920. Les parents de Valentine ont fait le voyage. Les Foujita sont leurs témoins. Zadkine est en espadrilles, Valentine porte un turban taillé par Fernande – une cérémonie on ne peut plus modeste « mais la découverte de promenades à faire parmi les bêtes, maisons séculaires, arbres et vieilles pierres compensa le regret de n’avoir pas même de quoi s’acheter des alliances. On nous en prêta. »
Tout s’enchaîne. Après une première exposition personnelle à la Galerie Mouninou de la rue Marbeuf en avril 1920, Valentine Prax expose en décembre 1921 à la Galerie La Licorne que dirige le grand collectionneur Maurice Girardin. La critique lui reconnaît une « spontanéité fraîche et sans fard », une « ingénuité qui se rit de l’ignorance ». De son côté Zborowski, le marchand de Modigliani, lui achète quelques toiles et lui ouvre un compte chez un marchand de couleurs – Valentine peut continuer de peindre en toute quiétude.
Dans les environs de Bruniquel, « le Russe et sa compagne aux cheveux coupés » s’éprennent du beau village de Caylus, cher à Antoine Bourdelle. Ils y reviennent chaque été, finissent par acheter une maison délabrée où Zadkine taille son premier Orphée en bois d’orme. Dans ce pays du Quercy, Valentine retrouve l’assise d’une terre, le rituel d’une vie ancestrale, la poésie des objets humbles. « Je commençai de peindre dans un esprit un peu neuf »…. La couleur s’est réchauffée, la matière assouplie, la composition se fait plus dense, savante. La leçon de Cézanne et celle du cubisme, l’estime et les conseils du peintre Charles Dufresne (1876-1938) ont porté leurs fruits. La Procession, Couple de paysans à Caylus, L’Atelier du menuisier, Nature morte avec lapins et poule retiennent l’attention des amateurs parisiens. La Galerie Berthe Weill consacre une exposition à Valentine Prax en janvier 1924.
A coté de cette veine rustique, la mythologie où « la joie de vivre éclate en couleurs » lui inspire toute une série de peintures sur L’Enlèvement d’Europe. Rien ne pèse, rien ne bride le bleu céleste et fluide de ces espaces marins que l’on retrouve dans Le Royaume d’Amphitrite, dans Femmes et chevaux… La plasticité des éléments est l’expression d’une liberté conquise : « En art tout est permis, lui avait révélé Zadkine. Il faut donner libre cours à son imagination. » L’imagination de Valentine la Méditerranéenne entraîne Zadkine qui puise à son tour aux sources vives de l’antiquité gréco-latine. Jamais sans doute l’univers des deux artistes n’aura été aussi proche qu’au tournant des années 1930.
Valentine raconte comment elle partait « chargée d’un rouleau de ses toiles et des gouaches de Zadkine » pour les présenter à des amateurs de Bruxelles ou d’Anvers. La jeune femme connaît alors un réel succès commercial avec ses « fixés sous verre » – une technique utilisée jadis par les imagiers populaires : présentée au travers de la vitre, la couleur reste très fraîche, étonnamment lumineuse. Le musée conserve quelques uns de ces petits formats – La Musique, La Musicienne – que Valentine Prax sertissait dans des cadres Louis XIV dénichés avec Zadkine tantôt au marché aux Puces, tantôt chez des antiquaires de Carcassonne ou de Toulouse. En mai 1926 elle signe un contrat avec La Galerie Barbazanges qui compte parmi ses « poulains » Charles Dufresne et le sculpteur Despiau. A Bruxelles plusieurs expositions lui sont consacrées – à la Galerie Sélection en 1922, à la Galerie Le Centaure en février 1927.
En 1928 Zadkine et Valentine ont quitté la rue Rousselet où ils travaillaient dans des conditions très précaires pour « le petit pavillon et le jardinet, rue d’Assas que Zadkine convoitait depuis des années. Il n’avait jamais eu assez d’argent pour en régler les premiers mois de loyer. »
Quand ils n’occupent pas l’atelier parisien du 100 rue d’Assas, les deux artistes sont dans « leurs terres » du Lot, dans « la maison à la tour » du village des Arques acquise en septembre 1934. Passablement délabrée, la demeure séculaire dispose néanmoins d’une grange – « une énorme grange, le rêve d’un sculpteur ! » – et de beaux espaces où le couple aménage quatre ateliers. Valentine peut enfin peindre à son aise.
Valentine Prax est désormais un nom reconnu, des expositions personnelles lui sont consacrées à Londres, à Chicago, à Philadelphie, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en décembre 1934. A Paris, elle participe au Salon d’Automne de 1933 et 1936, au Salon des Tuileries de 1935. A l’occasion de « l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne » inaugurée en mai 1937, Zadkine reçoit plusieurs commandes ; pour sa part Valentine Prax se voit confier la peinture de l’une des grandes verrières du musée d’Art moderne, sur le thème de l’Aviation ; les autres sont exécutées par Touchagues (1893-1974), François Desnoyer (1894 - 1972), Francis Grüber (1914-1948) et Hermine David (1886-1970).
La guerre trouve les deux artistes en plein travail aux Arques : Zadkine poursuit la taille du grand Christ (1938/1940) en bois d’orme, aujourd’hui déposé dans l’église du village ; de son côté Valentine s’est attelée à un projet de cartons de tapisserie pour l'atelier Legoueix d'Aubusson mais les événements se précipitent et les tapisseries ne seront pas exécutées,
en dépit du soutien de Jean Lurçat.
« Ce furent cinq étés brulants
La sève était tarie.
Les mains vides, les yeux éteints
On regardait passer la vie, sans voix,
Un souffle aurait brisé tous nos espoirs.
Où sont les fraicheurs de l’aube ? »
V. P. poème inédit, 1944 – Pendant la guerre
« Dès que les troupes allemandes arrivèrent à Paris, je sentis que toute notre vie était menacée, et aussi les sentiments et les pensées ». Face à la menace, Valentine trouve en elle des forces insoupçonnées. Elle convainc Zadkine d’embarquer in extremis pour les Etats-Unis mais décide de rester pour défendre leur œuvre. Elle assume le poids de distance, de silence forcé de l’exil. L’atelier parisien de la rue d’Assas est confisqué. Elle sauve les bronzes de Zadkine mais déchire ses toiles « plutôt que de les voir éparpillées sous la botte nazie ». Elle endure la faim et les angoisses de l’Occupation dans la complète solitude de la maison des Arques, en butte aux persécutions de la milice locale. La peinture est son seul viatique – « cette période de la guerre fut la meilleure pour ma production artistique », confesse-t-elle. La Fin des temps heureux, Arlequin dans la ferme dévastée, La Fin des temps romantiques… A Paris, la Galerie de France lui consacre avec succès une exposition en octobre 1942 mais la puissance panique de ces compositions ne sera dévoilée qu’après la guerre – à la Galerie d’art du Faubourg en mai 1950, au Salon des Tuileries en 1951, au Salon d’Automne de 1952.
Les Forces du mal que Valentine exorcise sur sa toile sont en passe d’être vaincues quand les nouvelles tant espérées de New York portent le dernier coup de grâce : Zadkine a décidé de ne pas rentrer. 1945- 1967 La deuxième partie de la vie de deux artistes
« J’ai toujours éprouvé un grand sentiment d’étonnement devant la vulnérabilité d’une chose, d’un animal, d’une plante. En somme tout fait partie de ma vie, tout me paraît devoir durer. »
Cette conscience intime de la responsabilité de l’artiste se mue en acte de foi alors qu’autour d’elle tout a été déchiré, fracassé, pulvérisé. En 1945 un télégramme arrive de New York : « Suis malade, malheureux, sans argent. Acceptes-tu que je revienne ? » La vie commune reprend. Zadkine a cinquante ans, Valentine Prax quarante-trois. Ils entament « la deuxième partie de la vie de deux artistes » dans un quasi dénuement. Valentine peint La Jeune et la Vieille Sorcières, Les Sorcières en transes, Les Naïades… Autant de toiles qui opèrent comme un sortilège pour retrouver la paix et l’harmonie de La vie intérieure – un tableau que Valentine achève vers 1960.
L’année 1963 lui apporte la consécration d’une grande exposition à la Galerie Katia Granoff qui réunit cinquante tableaux. Désormais le monde de Valentine se déploie Entre l’Onde et l’Azur, affranchi du « risque latent des gouffres verts », délivré des « bateaux sans voile comme des oiseaux blessés » (poème inédit). Le Dernier voilier (1960), Jeu marin (1966), Les Gens de la mer (1966), Les Gens heureux ou Le Jour enchanté (1969-1970), Le Pauvre Pêcheur (1970), L’Enfant heureux (vers 1970)… Transfigurée par la grâce, sa peinture réfléchit l’image d’une création fluide où tous les règnes communient dans la clarté de l’éternité retrouvée.
Le 25 novembre 1967, Zadkine meurt. « Fais ton propre travail »… Valentine Prax continue de peindre, d’exposer – Galerie Chappe- Lautier à Toulouse en 1968 ; Galerie René Drouet à Paris en 1968, 1971, 1973 ; musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1976.
Fidèle à la promesse faite à Zadkine de veiller sur son œuvre, Valentine consacre une grande part de ses forces à la création d’un musée Zadkine. Encouragée par Jacques Lassaigne, directeur du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, elle entreprend des démarches auprès de la Ville qui accepte en 1978 une donation d’une importante partie de ses biens. L’année suivante, une exposition Zadkine à l’Hôtel de Ville marque l’événement. Cette donation est confirmée par le testament de 1980 où Valentine Prax lègue à la Ville de Paris la totalité de ses biens, à charge pour la municipalité de créer un musée rue d’Assas. Le 15 avril 1981, Valentine Prax meurt. Un an plus tard, le 19 avril 1982, Jacques Chirac, maire de Paris, inaugure le musée Zadkine.