Une enfance en Russie

1888-1905 : Une enfance en Russie : la terre, l’eau et le bois

Ossip Zadkine naît le 4 juillet 1888 à Vitebsk, aujourd’hui en Biélorussie.

Son père, Ephime Zadkine, enseigne le grec et le latin au séminaire de Smolensk. Ce lettré de famille juive s’est converti à la religion orthodoxe pour épouser Sophie Lester, descendante d’une famille écossaise de constructeurs de bateaux, émigrée en Russie au XVIIe siècle. Elevé « loin des préoccupations religieuses », le jeune Ossip grandit entre la maison de bois de Smolensk, le domaine de l’oncle maternel, sur les rives de la Duina et la chair profonde des forêts de pins.

Très tôt s’impose la nécessité de « dessiner tout et à tout moment ». La découverte d’un bloc de terre glaise dans le jardin éveille chez l’enfant de douze ans la passion du modelage – le premier atelier de sculpture sera improvisé dans un coin de la bibliothèque paternelle.

Un séjour en Angleterre

1905-1910 : « Va, mon enfant, ton chemin n’est pas dans nos parages »

En 1905, ses parents l’envoient à Sunderland, au nord l’Angleterre, chez un certain « oncle John » qui le fait inscrire à l’Art school locale et l’initie à la sculpture sur bois. En 1906 l’adolescent rejoint un ami à Londres sans l’assentiment de son père qui lui coupe les vivres. Il s’inscrit au cours du soir du Regent Street Polytechnicum, passe tous ses dimanches au British Museum. Pour survivre, il se fait embaucher chez des artisans du meuble du quartier East End – on lui confie des ornements à tailler.

Fort de cet apprentissage, il réalise ses premières sculptures en taille directe – Tête héroïque en granit, 1908 – durant un séjour estival en Russie. « Le fils prodigue » a retrouvé en effet le chemin de la maison familiale et de la réconciliation. Son père prend la décision de l’envoyer à Paris, « là où l’on devient sculpteur ». A l’automne 1910, Zadkine pose ses valises dans un hôtel du quartier Latin.

Les débuts à Paris

1910-1915 : Paris où « l’on devient véritablement artiste »

En décembre 1910, Zadkine s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts. Au bout de six mois, il déserte. La découverte de la sculpture égyptienne au Louvre, le choc d’une tête romane le persuadent de « chercher la vie dans la simplification ou l’accentuation » des formes. Comme d’autres sculpteurs de sa génération – Amadeo Modigliani, Alexander Archipenko, Henri Gaudier-Brzeska –, Zadkine remonte aux sources vives de l’archaïsme. La seule nécessité ? « Se mettre au service du bois » ou de la pierre sans revêtir « l’uniforme académique ». Un manifeste pour la technique de la taille directe que Zadkine pratique dès 1911, replié dans le « quartier de Brie » de son atelier de la Ruche.

En 1912, il s’installe au 114 rue de Vaugirard, plus près du carrefour Vavin et du café de La Rotonde, champ magnétique de l’art moderne. Il croise Matisse, Picasso, approche Apollinaire, partage avec Modigliani « le temps des vaches maigres ». Le Salon d’automne de 1913 lui vaut son premier collectionneur, Paul Rodocanachi qui acquiert plusieurs œuvres dont Samson et Dalila, La Sainte Famille et lui procure un nouvel atelier plus vaste et ensoleillé au 35 rue Rousselet.

L'engagement pendant la Première Guerre mondiale

1915-1918 : L’engagement dans la guerre

Le 3 août 1914, la France et l’Allemagne entrent en guerre. Blaise Cendrars lance un appel à la mobilisation des « étrangers amis de la France ». Le 24 janvier 1916, Zadkine signe son engagement volontaire. Incorporé dans le 1er régiment étranger, il sert dans une section de brancardiers-infirmiers. Au mois de mai, il est affecté à l’Ambulance russe en Champagne : casernes, obus, tranchées, évacuation des blessés, mutilés, salles d’hôpital…

Gazé à la fin du mois de novembre, Zadkine est évacué et hospitalisé à son tour. Réformé en octobre 1917, il retrouve la rue Rousselet avec une santé chavirée et un moral en berne. Il rapporte une quarantaine d’œuvres sur papier exécutées dans l’urgence – crayon, fusain, encre et quelques aquarelles. La force d’expression de ces dessins l’incite à en graver une vingtaine qu’il fait paraître en album sous le titre Vingt eaux-fortes de guerre par Ossip Zadkine, soldat au 1er régiment étranger affecté à l’Ambulance russe aux armées françaises.

Son mariage avec Valentine Prax

1918-1920 : Un mariage, une exposition personnelle

Son ami peintre Henri Ramey l’invite à passer l’été près de Montauban, dans le village médiéval de Bruniquel où Zadkine se retrouve en harmonie profonde – « Portes et fenêtres taillées dans la pierre avaient pour moi un beau langage grave ». Au mois d’octobre 1918, il expose avec Ramey à la Galerie Chappe-Lautier de Toulouse où il présente cinquante-sept œuvres sur papier et « quatre sculptures directes » : un bois – Les Vendanges, trois pierres où la main de l’artiste s’accorde à la forme du bloc – Dame à la mandoline. Le peintre Roger Bissière signe le catalogue.

En 1919 Valentine Prax, une jeune femme peintre, devient sa voisine rue Rousselet. Tous deux partagent l’exil et les bonheurs âpres de la « bohème ». Ils se marient en août 1920 à Bruniquel. Deux mois auparavant, Zadkine a organisé sa première exposition personnelle en son atelier : quarante-neuf sculptures taillées dans le bois, la pierre ou le marbre. Dans la préface du catalogue, Georges Duthuit souligne la « nue simplicité » de cette création.

Intermède cubiste et première consécration

1921-1925 : Un intermède cubiste, une première consécration

En février 1921 Zadkine expose à la galerie La Licorne que vient d’ouvrir le docteur Girardin. Cette même année, il est naturalisé français et voit entrer au musée de Grenoble son Tigre en bois doré et une Tête de jeune fille en marbre, à l’instigation du conservateur Andry-Farcy. Recherches, tâtonnements, incursions vers des formes « autres » : dans les sculptures produites de 1921 à 1924, Zadkine découpe plus nettement les plans, aiguise les arêtes, soumet les volumes à la rigueur d’une géométrie.

La Femme à l’éventail qu’il expose au Salon d’automne de 1923 ou la série de l’Accordéoniste sont les plus clairs représentants du « petit monde rigide et angulaire cubiste » que le sculpteur dépasse bientôt pour revenir à lui-même. En 1925 la Galerie Barbazanges, l’une des premières de Paris, lui consacre une grande exposition. Le critique Waldemar-George rend compte des « Idoles barbares et primitives » d’Ossip Zadkine – « Ce Slave qui ressuscite les mythes est un poète qui dispense l’émotion d’un ordre mystique et religieux ». (L’Amour de l’art)

La source grecque, l'enracinement d'une "terre"

1926-1941 : La source grecque, l’enracinement d’une « terre »

L’œuvre entre dans de profondes mutations. Sans renoncer à la taille directe, Zadkine, exécute des modèles en plâtre ou en terre coulés ensuite dans le bronze. Les Ménades, Naissance de Vénus, Figure drapée, Orphée marchant, Diane… Libérées de la gangue du bloc compact, les formes se plient à l’harmonie d’un rythme fluide. Le voyage en Grèce (1931) confirme ce retour « aux limpides sources de philosophies religieuses et esthétiques » de la plastique antique.

Depuis 1928, Zadkine a quitté l’atelier de la rue Rousselet pour « l’oasis » de la rue d’Assas. Sa notoriété se confirme par des expositions personnelles à Londres (1928), à la Biennale de Venise (1932), au Palais des beaux-arts de Bruxelles ou à New York (1933). Mais sous l’effet de la crise économique, les collectionneurs se volatilisent. Fidèle au pays du Quercy qu’il avait découvert à l’été 1918, Zadkine et sa femme trouvent leur « terre » dans le village des Arques – une grande maison délabrée avec une grange où ils s’installent en 1934. Une terre à laquelle Zadkine doit s’arracher après la défaite de la France et la mainmise des nazis. A la fin de mai 1941, il obtient un visa pour les Etats-Unis.

L'Exil à New York en 1941

Zadkine embarque à Lisbonne le 20 juin 1941 sur l’Excalibur, dernier bateau américain à quitter l’Europe. A New York, il loue un atelier dans le quartier de Greenwich Village : tout est à improviser, à recommencer « mais le cœur n’était pas à la sculpture. Je recevais de trop mauvaises nouvelles de la France. » Et de trop rares lettres de Valentine, isolée, harcelée, « sidérée » par les forces de destruction.
Pourtant dès octobre 1941, Zadkine expose à la Galerie Wildenstein, des gouaches pour l’essentiel. En mars 1942, la Galerie Pierre Matisse l’invite à participer à l’exposition « Artists in Exile » aux côtés de Léger, de Chagall, de Lipchitz…
Zadkine mène aussi une activité d’enseignant, notamment à l’Art Students League. La lecture du livre de Mario Meunier, La légende dorée des dieux et des héros, lui inspire une série de dessins sur Les Travaux d’Hercule – les combats héroïques sont d’actualité et passent par le symbolisme plastique et poétique de La Prisonnière (1943) ou du Phénix (1944), deux sculptures marquantes de cette période. Le 5 septembre 1945, Zadkine obtient son visa, le 28 il débarque au Havre.

Recommencer à construire

1945-1958 : « Recommencer à construire »

Zadkine rentre en France « bien changé, ravagé » mais reprend vie dans sa terre du Quercy. « Je fis d’abord un groupe de trois personnages dont le bas était comme un lendemain de désastre – formes cassées, chaotiques dans leur déchéance – et le haut troué mais rebâti ; j’étais devant La Forêt humaine ».

Son art retrouve, au sein du chaos, une unité de mouvement et d’élan. Le souvenir des villes fracassées par la guerre – Le Havre, Rotterdam –, lui dicte le projet de monument de La ville détruite « avec ses bras jetés vers le ciel ». La municipalité de Rotterdam lui passe commande de ce monument en 1950.

La même année, Zadkine reçoit le grand prix de sculpture de la Biennale de Venise et participe à l’exposition « L’Art sacré, œuvres françaises des XIXe et XXe siècles » au Musée national d’art moderne. La première œuvre sur bois qu’il aura taillée à son retour avec « une joie intense et intime » est un Christ, acquis par l’Etat en 1952. Il poursuit dans son atelier parisien ou à l’Académie de la Grande Chaumière, l’expérience de l’enseignement. La reconnaissance internationale se manifeste par les expositions du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles (1948), du Boymans Museum à Rotterdam (1949), de la galerie Fujikawa au Japon (1954).

Des voies résolument inédites

1959-1967 : Des voies résolument inédites

Zadkine est désormais l’un des grands noms de la sculpture du XXe siècle – le musée Wallraf-Richartz de Cologne (1960), la Tate Gallery à Londres (1961), le Kunsthaus de Zurich (1965) lui consacrent de grandes rétrospectives. En dépit d’une santé chancelante, il vit en perpétuel « état de quête », mobilise ses forces à des projets, des réalisations d’œuvres monumentales – celle de La Forêt humaine (1960-1962) élevée devant le siège de la Fondation Van Leer à Jérusalem, celle de La Demeure (1963-1964) pour la Nederlandsche Bank à Amsterdam.

Il commence en 1962 la rédaction de ses mémoires publiées sous le titre Le maillet et le ciseau, souvenirs de ma vie. Préoccupé du devenir de son œuvre, il songe avec Valentine à l’ouverture d’un musée. Le premier catalogue raisonné de ses sculptures paraît dans la monographie que lui consacre Ionel Jianou en 1964. 

Vers 1965 il ouvre les voies inédites, mystérieuses des « sculptures pour l’architecture » qu’il rêve de déployer à grande échelle dans l’espace urbain. Le 8 novembre 1967, il achève le buste de son ami l’écrivain Claude Aveline. 

Il meurt le 25 novembre au matin. Il est enterré au cimetière Montparnasse.

« Mais il est déjà très beau de pouvoir tomber dans la mort avec le ciseau et le maillet entre les mains. »
(Zadkine, Journal, octobre 1966)